Après le biopouvoir (Foucault), la société de contrôle (Deleuze) et la médicalisation de l’existence (Gori), nous voici avec Olivier Douville rendus à la société des assurances.
La psychothérapie (dont la psychanalyse et notre psychothérapie relationnelle, les deux mamelles du processus de subjectivation, quelle terminologie !), qui prend soin (sic) de nous, se voit évidemment prise dans le système social ambiant.
Cet environnement socio politique, comporte un imaginaire social, psychosociologique, et idéologique. Tout un monde de représentations courantes, de pratiques — dont les pratiques de soin, et de discours partagé à l’insu du plein gré de vous et moi. Si bien que si nous n’y prenons garde nous voici, parlés plutôt que parlants, à penser, si l’on peut dire, institutionnellement. À penser comme le socius pense. Vous me direz je n’ai jamais rencontré de socius, et si c’était le cas, je m’étonnerais bien qu’il pensât. C’est vrai, il modélise plutôt.
Revenons à nos débuts. Incontinents, en quelques décennies, on se réveille à une autre époque. On, les vieux. Car les jeunes, préoccupés d’arriver au monde, le prennent comme il est, dans son éternité du moment. Bienvenue à Gatacca. Pour nous ce serait plutôt Catacaca.
Un monde covid. Les experts débattent, se contredisent, ourdissent avec les politiques des plans secrets, les puissances d’argent tirent les ficelles, la médecine est péremptoire et les médecins empêchés, on ne fait plus confiance à des discours enchevêtrés de scientisme (la religion de la science en est l’opposé), et pourtant on y croit. On croit à quoi ?
À l’erratique étiquetage psychiatrique qui nous décerne notre identité. Qui suis-je s’interrogeait Montaigne. Un bipolaire, un hypersensible, voir un hyperactif, nous disposons d’un catalogue impressionnant, répond Diafoirus passé expert. Si une personne ne se sentant pas trop bien interroge son médecin puis un psychiatre, elle recevra ainsi le « baptème de son diagnostic » — qui a parlé de la mort du religieux ? et maintenant rentrez chez vous, prenez votre doliprane (covid) ou vos psychotropes dédiés (à votre étiquette DSM), et si nécessaire en phase 2, vous passerez à la réhabilitation sociale. Et voici nos français réputés râleurs tout dociles et crédules de se voir ainsi « personnalisés » médicalement. Ou versant dans le complotisme, ça se peut. Ou lucides, tout de même, certains, nageant à contre courant. Encore heureux s’ils nagent en groupe. Car le groupement doit disparaître. Gardez vos distances, vivez seuls ! L’État se charge de tout, sauf des causes économiques du malaise qu’il entend préserver.
En matière psy, la donne institutionnelle a changé. Psychiatrie déversée dans la neurologie, soin stéréotypal ; psychologie ancillaire aux « petits soins » protocolisés pas cher payés, thérapie brève et rééducatrice ; psychothérapie déversée dans le développement personnel, ou pire si affinité. Où sont passées l’antique psychanalyse, la révolutionnaire psychothérapie relationnelle, les deux disciplines du devenir de la personne, en jargon du processus de subjectivation ? mais où sont les neiges d’antan ?
Le monde est redevenu fixe, stationnaire, précopernicien. Comme pour les autistes, dont on fait grande consommation de leur arrivée à la mode, le mieux, en l’absence de relation, reste encore l’immobilité. Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, chantait le poète. Terminé tout ça. Ne bougez plus ça pourrait vous traumatiser. Le maître mot chien de garde. Si c’est le cas pas de souci, silence, on sédatise. Et on corrige. Ayant, comme pour les malheureux autistes (qu’on sous-budgetise remarquez, pas grave suffit d’aller en Belgique), reinventé le dressage. Certes plus soft qu’à la Ouigour.
La psychothérapie humaniste, s’appuyant sur les acquis de la dimension groupale dans le domaine psy, en a surmultiplié les effets par sa découverte du corps (émotion et catharsis comprises). Une révolution. Renversant les perspectives, elle paradoxait que les psychotiques allaient à l’occasion soigner les névrosés. Contrecoup, entre autre, le mouvement d’émancipation des homosexuels et de tout ce qui s’en est suivi. Autres développements, les thérapies psychocorporelles, la gestalt-thérapie, à base existentialiste. Des théories alternatives (méthodologie à la clé) de l’angoisse, une dynamique scientifique novatrice. Tout cela aboutissant en un nouveau champ disciplinaire, la psychothérapie relationnelle. Doublant la psychanalyse.
À rebours, pour reprendre un titre célèbre fin de siècle mais de celui d’avant, voici venir la régression de la santé mentale, pratique idéologiseante qui transforme et émiette le champ entier de la vie quotidienne en psychopathologies justifiant d’autant de molécules. Voici la condition humaine, la maladie, la souffrance, la mort, livrées aux neurosciences. La génération précédente aux prises avec son inconscient, ou la difficulté de choisir sa vie, avait besoin de temps pour se refaire. L’actuelle, cerveau neuroscientisé, privée par le système du temps long nécessaire à la reconsidération de son existence, ne pourra, au bout du mécompte, éviter de recourir à la méthode de la psychothérapie au long cours. La reprise de vie en responsabilité ne peut que passer par la relation, par nature « chronophage », par nature, humaine.
Nous sommes là pour soutenir et transmettre que la condition humaine requiert pour se réguler de recourir aux « médecines de l’âme ». Voyant le système psychiatrie-neurologie/psychologie embarqué dans une dynamique néfaste, ses acteurs les plus clairvoyants se mobilisent. Nous appuyons leur cause.
En ce qui nous concerne, œuvrant en secteur libéral, nous pâtissons de l’effet d’ambiance de ce dysfonctionnement global de la machinerie ultra libérale en matière de régulation psychique. Heureusement situées à la marge, nos institutions et nos pratiques, socialement et économiquement minorisées, risquent l’invisibilité. Et pourtant elles tournent. À la condition de savoir que nos pratiques et notre vision du monde comportent intrinsèquement un degré de militance non négligeable. Sans parler de Résistance faisant écho aux horreurs du XXème siècle encore difficiles à intégrer (sans compter que la Bête n’est pas morte, et ne mourra pas de sitôt), ou de résilience — à oublier pour cause de démonétisation du terme, il faut soutenir que notre vue anthropologique, notre philosophie imprégnée de psychanalysme et d’existentialisme, comportent la détermination de maintenir notre posture de combat en faveur de l’humanité de l’humanité. Et que nous ne sommes pas décidés à manquer en ce domaine à notre devoir.