La E.THÉRAPIE, « Je préfère ne pas… » Marcelle Maugin
Jeudi 23 juillet, Palais de l’UNESCO, Congrès international de psychothérapie, salle 1, 16h : « Le digital va-t-il révolutionner la psychothérapie ?» avec Arnaud de Saint-Simon, Fabienne Kraemer « Pourquoi je suis passée à la e-thérapie » et Oren Frank « Pourquoi et comment le digital peut rendre la psychothérapie plus efficace ».
Arnaud de Saint-Simon y croit : il est allé y voir de près aux USA, il donne l’impression d’avoir découvert une pratique très prometteuse. Fabienne kramer trouve ça enrichissant et en démontre tous les avantages: elle s’ennuyait et se sentait enfermée dans son cabinet à Paris, elle a pu grâce à la e-thérapie aller vivre en Angleterre et continuer à fidéliser ses patients, aujourd’hui elle accompagne de nombreuses personnes dans leurs périples à travers le monde entier. Quant à Oren Frank, il nous expose méthodiquement les postulats et le fonctionnement de son entreprise (1) :
– Une grande majorité d’individus dans la population (chiffres impressionnants à l’appui) aurait besoin d’une psychothérapie (???) mais ne pourra jamais y accéder
– Ils n’y auront probablement jamais accès pour un tas de raisons : soit parce que c’est trop cher ou trop long, soit parce qu’ils imaginent que c’est mystérieux ou compliqué, qu’ils ne savent pas vers qui se tourner…qu’ils sont intimidés ou stressés par la démarche, qu’ils ne savent pas comment ça marche etc. etc.
Il convient donc d’aller au-devant de ces contemporains qui souffrent, (et peut-être même l’ignorent), de démocratiser l’offre en quelque sorte et de la rendre accessible à tous. Pour Oren Frank il suffit pour cela de mettre à disposition des internautes un pannel diversifié de psychothérapeutes professionnels proposant leurs services et une méthode facilitant la mise en rapport de cette offre avec la demande potentielle.
Les modalités : le client choisit son psy sur un diaporama de photos, le premier contact est bref afin de réduire au maximum l’anxiété (la durée augmentera très progressivement), un ajustement permanent lui permettra d’évaluer sa satisfaction et de garder un contrôle sur la situation. Il définit lui-même ses objectifs et de son côté l’organisme lui propose un corpus d’experts repérés en fonction de leurs habiletés et de leurs succès avérés dans le traitement de son type particulier de problème.
Mes synapses ont commencé à s’agiter dès l’énoncé des prémisses du syllogisme (comme disait Rufus : inutile de continuer les prémisses suffisent !), j’entendais :
« tout le monde a besoin de beurre »…et elles ont commencé à faire des noeuds avec la suite : « la plupart des gens ne le savent même pas, ou rechignent à s’en procurer.
or, nous savons fabriquer le beurre,
donc il faut faire profiter le plus de personnes possible de notre produit »,
C’est pragmatique, démocratique, (populiste ??), c’est américain, altruiste, efficace et…moderne !
Je tiens à assumer ici totalement la subjectivité de mes réactions mais je dois dire que j’ai comme auditrice ressenti un malaise grandissant , une sorte d’étouffement qui m’a poussée à sortir de la salle avant la fin, quitte à me retrouver errante dans les sous-sols labyrinthiques de l’UNESCO avec une furieuse envie de reprendre de l’air, cherchant désespérément la sortie, hantée par Kafka, ne pensant plus, partagée entre rire et abattement, déboussolée, pressée de reprendre pied au plus vite dans la vraie vie.
Je ne cherche pas à dégouter qui que ce soit de la e.thérapie (j’ai pu moi-même recourir à l’occasion à des entretiens téléphoniques avec des patients déjà rencontrés « en live »), je n’évoquerai même pas le crainte des aléas technologiques de ce travail à trois, où la machine et ses défaillances peuvent à tout moment casser le fil ténu si délicat des échanges entre humains. Je peux seulement dire que j’ai ressenti un impérieux besoin de me reformuler les quelques repères essentiels qui sous-tendent à ce jour ma pratique.
J’ai envie d’avoir encore peur quand je vais à la rencontre de quelqu’un pour la première fois. Je trouve aussi nécessaire que précieux ce moment où le désir arme la motivation et la décision. J’ai de la considération pour le temps nécessaire à l’élaboration du projet (qui parfois a duré des années), de l’intérêt pour le recul devant la porte entr’ouverte, pour les rêves ou les actes manqués qui précèdent le premier rendez-vous avec le psy…Ils font partie du travail, l’amorcent et l’engagent. Comme le constituent déceptions, les interrogations qui ébranlent les certitudes, les déstabilisations qui parsèment le chemin autant que les « divines surprises » si imprévisibles du parcours. En tant que patiente je ne crois pas aux garanties, aux assurances, aux promesses de guérison, je ne tiens pas à être « satisfaite ou remboursée » d’une psychothérapie, je ne veux pas être nourrie à la petite cuiller. Finalement je crois que je préfère encore la compagnie de mes symptômes et leur façon dérangeante d’éveiller constamment ma conscience! J’entends juste prendre le risque d’une aventure vivante. En tant que thérapeute je ne distribue pas non plus du bien-être et je ne tiens pas à être évaluée par mes clients comme on évalue sur le net le réparateur du service après-vente de Darty après son passage à la maison.
Comme compagnon de route je revendique les méandres, les hésitations, les pas de côté, l’imprévisble de la rencontre au cours d’une thérapie. Les complexités du rapport, avec ses frustrations, ses ébranlements, ses silences, ses charmes, ses moments de joie profonde. Je ne méprise pas les reculs, les bourdes et les maladresses, les improvisations, les pannes, les négociations et les ruses. Je veux percevoir les corps au complet, être touchée par les rougissements, les émotions, les odeurs, les atmosphères, les égrégores subtiles que la webcam ne permettra jamais de partager. J’ai besoin de sentir le poids de la « chair » et des présences.
Je n’espère pas éviter les risques de l’attachement et les manques de la séparation. Les naissances sans douleur. Je n’espère pas éviter la souffrance qui précède les « retournements », ce « pretium doloris » dont parle si bien Cynthia Fleury (2), coextensif au souci de soi, qui inaugure un changement d’état, qui donne accès à une connaissance de soi et de la vie totalement inédites.
Quant à la e-thérapie telle que je l’ai entraperçue e jour-là (et possiblement mal interprétée ?), si rationnelle, si efficace, si désubjectivante, c’est clair, pour l’instant : je préfère, comme dirait le célèbre Bartleby, « ne pas…m’y mettre ».
Marcelle Maugin
Octobre 2017
- La question de la souffrance appréhendée sous l’angle d’une simple étude de marché ?
- Ed. Fayard, Paris 2015 coll. Pluriel
N.B La revue Sciences et Avenir d’octobre 2017 vante les mérites des auto-tests très présents aux Etats-Unis en citant pour ex. le PHQ-9 un test « validé scientifiquement », qui permet d’évaluer son propre niveau de déprime.
Soucieux également de tous ces malades non encore diagnostiqués, internet et les smartphones proposent désormais de nombreux sites et applications censés les aider. Voilà qui devrait permettre à la France de compenser sa pénurie de psychiatres ! Grâce à la géolocalisation des smartphones on peut stimuler régulièrement un patient inactif en lui rappelant qu’il serait mieux pour lui de se bouger, lui envoyer des SMS d’encouragement systématiques etc…Une équipe du laboratoire d’informatique de Montpellier travaille actuellement sur une application capable de prédire le risque suicidaire. Les chercheurs en intelligence artificielle nous promettent aussi pour demain des humains virtuels susceptibles de créer une relation d’empathie avec leurs interlocuteurs (tout en reconnaissant qu’ils cherchent encore à affiner leur décodage des communications non verbales !). On leur souhaite bon courage tout en nous y préparant déjà lors de notre passage à la caisse automatique du supermarché.
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